Management

Interview Franck Dunière : Comment être un patron bienveillant ?

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Autodidacte tombé dans la marmite de l’internet il y a quinze ans, Franck Dunière a cofondé la société de services numériques IP Line en 2004. Il cultive un passé de sportif de haut niveau (dans le football) et a appris la vente en faisant du porte-à-porte pour Numéricable. Passé également chez Décathlon et aux AGF, il codirige cette entreprise de 60 personnes avec une exigence très particulière : être un patron bienveillant !

L’Elan des Talents : Qu’est-ce que le management dit « libéré », aujourd’hui, dans les entreprises ?

Pour moi, c’est clairement continuer à inventer l’entreprise de demain. Une entreprise où le quotidien est agréable pour tous, où la boule au ventre du dimanche soir n’existe pour personne… et où l’argent vient ! Chez IP Line, tout est décidé de manière collégiale : les sujets du quotidien comme le chemin permettant d’atteindre notre vision. Les valeurs que nous portons et partageons sont là pour donner le tempo : oser, veiller (par exemple à rester en phase avec notre déontologie), se placer (auprès des clients, dans un groupe projet, auprès de ses collègues…) et s’accorder.

 

Comment cela s’illustre-t-il concrètement ?

Par un organigramme en atomes ! Chez nous, pas de hiérarchie en râteau, avec les gens du dessus et ceux du dessous. Chaque service (le codir, l’information, le service client, la technique…) est représenté par une bulle englobant elle-même plusieurs bulles matérialisant les membres du groupe. Un homme ou une femme gravite au centre, mais on perçoit très vite que cette personne leader ne représente rien sans ceux qui l’entourent. Il y a un côté aérien dans tout cela, symbolisant la croissance, l’expansion, le champ des possibles… De même, nous ne parlons pas de directeurs, mais de référents.

N’est-ce pas une vision un peu candide du monde des affaires ?

Il y a quelques années, nous avons ressenti que notre façon de parler à nos collaborateurs n’était pas la bonne. Depuis, nous passons beaucoup de temps à rechercher des outils de management opérants mais dans les faits, ceux-ci sont assez peu nombreux. Donc, nous expérimentons… avec une idée bien ancrée : ne jamais revenir au management traditionnel.

 

Les vraies différences de management se situent où ?

Dans le fait que nous n’avançons pas sans nos collaborateurs et qu’eux-mêmes n’avancent pas sans nous. Nous n’avons pas peur de dire que nous sommes des dirigeants bienveillants, qui acceptent de ne pas tout savoir, de tout maîtriser, dont les ego ne sont pas surdimensionnés et capables de communiquer les bonnes nouvelles tout autant que les mauvaises. Car le bon manager est un bon communiquant, tout autant que le meilleur des vendeurs est un salarié heureux.

Photo de Franck-Dunière

Franck Dunière
Co-dirigeant de IP Line

Diriez-vous que vous avez réussi, aujourd’hui, à la fois votre entreprise et votre management ?

Les clés de la réussite sont multiples. La première, universelle, est d’avoir mis en adéquation les besoins du marché avec les produits et les services que nous proposons. Je dirais que nous voyons bien notre marché. La seconde tient au fait que nous nous occupons quotidiennement de nos RH. La troisième est fondamentale à mes yeux. Dans un monde très virtualisé, nous offrons à nos clients des réponses humaines. Ce sont nos collaborateurs qui répondent aux questions en direct et qui entretiennent la relation. Ça cartonne ! Des ETI – la base de notre clientèle – il y en a 6 000 en France et 12 000 en Allemagne. Alors, on les chouchoute, nous sommes au petit soin pour ces sociétés qui ont les moyens d’investir, par exemple sur le risque numérique, une véritable catastrophe quand cela arrive.

Au final, le management libéré est-il générateur de davantage de rentabilité ou pas ?

Notre propos n’est que croissance : croissance économique et croissance humaine. Nous bouclons 2017 sur une hausse de 15 % de notre chiffre d’affaires, avec une augmentation de nos effectifs et un bon résultat net. Nous allons encore renforcer nos fonds propres, investir, embaucher, former nos collaborateurs… quelle meilleure réponse ?

Le management libéré est un pari, mais c’est aussi un immense facteur de réussite. Il est complexe à mettre en œuvre et à faire vivre, mais sur les deux ans qui viennent de s’écouler, il a incontestablement accompagné notre croissance. Ce management collectif révolutionne surtout notre mode de travail, à nous, les dirigeants ! Nous sommes beaucoup en transverse, nous intervenons sur de multiples sujets chaque jour, on rappelle notre promesse d’entreprise – donner aux clients ce qu’ils attendent – de façon régulière. Tous les mois, dans chaque service, nous analysons avec les collaborateurs ce qui ne convient pas et qu’il est important d’améliorer. Ce travail de cellule est épuisant, mais passionnant, et payant ! Ensemble, nous disons « mea culpa » et c’est ce qui fait que les erreurs ne se reproduisent pas.

 

Quelles seraient les limites de ce management collectif ?

Elles viendraient sûrement de notre incapacité, à nous les trois dirigeants, de tenir un tel rythme et de telles méthodes de travail. Notre point de vigilance est de parvenir à la fois à œuvrer comme directeur commercial, financier, technique… car c’est ainsi que nos collaborateurs nous voient et ont besoin de nous. Un autre point de vigilance est la nécessité de notre présence permanente. Les équipes ont besoin que nous soyons là physiquement. En notre absence, l’information devient stressante ; c’est très inhabituel à observer. Car qui dit entreprise libérée ne dit pas management éloigné ! Bien au contraire : la direction doit être là et donner de l’information en permanence. Si on se libère physiquement, on le paie ! Le corollaire de la liberté managériale, c’est l’hyperprésence. Si nous ne rencontrons pas tous les jours, au moins 5 minutes, les 25 personnes du top management, tout se dérègle très vite. Surtout avec un public comme le nôtre, majoritairement issu des générations Y et Z. Les Y sont connectés ; les Z sont ultra-connectés, presque victimes d’info-obésité. Il faut les nourrir, les biberonner, les suivre comme des enfants, ne jamais les oublier, leur rappeler les objectifs en permanence et le cadre stratégique à moyen-long termes. Notre plan 2018-2022 est donc écrit. Il pose des objectifs clairs et progressifs par rapport auxquels chaque collaborateur peut se positionner. Et agir en conséquence !