Management

Quel rôle pour les middle managers ?

Lien entre la sphère dirigeante et le socle opérationnel, les managers intermédiaires (ou middle managers) sont au cœur des débats actuels sur l’évolution des modes d’organisation de l’entreprise. Inutiles pour certains, indispensables pour d’autres ; quelle est la stratégie à adopter ? Interview de Thibaut Bardon, professeur de management à Audencia Business School à Nantes, responsable de la recherche en management et cotitulaire de la chaire Innovations managériales.

L’Elan des Talents : Depuis quand existe la dénomination de manager intermédiaire et que recouvre-t-elle ?

À l’organisation de type taylorienne où l’on parlait de contremaître, a succédé l’organisation bureaucratique qui a nécessité la création de nouvelles strates hiérarchiques. Le manager intermédiaire est donc apparu avec l’entreprise moderne. Pour autant, cette fonction est surtout déterminée par des définitions en creux. C’est-à-dire que l’on considère que cela désigne tous les acteurs entre les cadres dirigeants et les salariés opérationnels. Toutes ces personnes au cœur de l’entreprise, quels que soient le secteur et la taille, ont un point commun, elles sont confrontées à des enjeux similaires, notamment faire le lien entre la stratégie et l’opérationnel.

 

 

Quel est son rôle aujourd’hui et qui est le manager intermédiaire actuel ?

Dans beaucoup trop d’entreprises, il est uniquement cantonné aux tâches de prescription et de contrôle. Il est devenu le relais local de la politique RH. On considère encore souvent le manager comme un super expert. Autrement dit, ce sont les meilleurs opérateurs qui sont promus, mais ce n’est pas pour ça que ce sont de bons managers. Or, il est nécessaire de posséder des qualités relationnelles et de savoir gérer une action collective. Et cela s’apprend ! En tant qu’école, nous insistons beaucoup sur les soft kills ou compétences comportementales. Rien d’étonnant à ce que depuis une dizaine d’années, les études montrent que cette catégorie est la plus désengagée de l’entreprise, la plus sujette au stress et à l’anxiété. Pas bien considérée, elle n’a pas l’impression de créer de la valeur et a le sentiment d’être constituée de simples exécutants débordés. Nous avons aussi mené, avec BVA, une étude sur la perception du management par les salariés. Elle révèle que seulement 20 % des salariés veulent devenir managers. Les raisons invoquées : trop de travail, trop de stress, beaucoup d’administratif, des sur-sollicitassions récurrentes… Ce n’est pas attractif, il y a une vraie défiance.

 

 

À l’heure où l’on parle d’entreprise libérée, d’autonomie et d’autogestion, cette fonction « mal-aimée » est-elle vouée à disparaître ?

C’est ce que propose l’approche dite « de la fin du management ». Ce discours véhiculé depuis 20 ans aux États-Unis et depuis 10 ans en France de façon de plus en plus prégnante met en avant que les entreprises devraient diminuer le nombre, voir même supprimer, les managers afin de gagner en agilité. Les tenants de cette thèse s’appuient sur 3 arguments : moins de strates pour réduire la chaîne de décision et gagner en réactivité ; plus d’économies sur la fonction RH et la libération des énergies en même temps que la responsabilisation accrue des salariés.

Depuis 10 ans en France de façon de plus en plus prégnante met en avant que les entreprises devraient diminuer le nombre, voir même supprimer, les managers afin de gagner en agilité (Thibaut Bardon, Professeur, responsable de la recherche en management à . Co-titulaire de la chaire Innovations managériales., Audencia Business school à Nantes).

 

 

Selon vous, le manager intermédiaire est, au contraire, le « moteur de l’innovation managériale », pourquoi ?  

En effet, l’approche « de la fin du management » est très limitée, car elle part du principe que le rôle du manager est restreint au commandement et au contrôle, et donc que les entreprises peuvent s’en passer. Notre thèse se base sur la transformation de leur rôle, car, par leur place centrale, ils peuvent contribuer à la performance sociale et économique de l’entreprise. En travaillant depuis 15 ans dans tous les contextes d’entreprise, nous avons synthétisé les bonnes pratiques sous forme de 5 types de tensions transverses que peut gérer le manager intermédiaire :

  • Trouver le meilleur équilibre entre stratégie et opérationnel. Soit traduire la stratégie pour lui donner du sens et faire remonter les perceptions des salariés pour la nourrir.
  • Concilier gestion individuelle et collective. S’adapter aux besoins de chacun en cohérence au niveau du groupe.
  • Accorder contrôle et autonomie. La proximité permet de suivre l’action collective tout en laissant place à la prise d’initiative individuelle.
  • Établir l’équilibre entre stabilité et changement. C’est-à-dire identifier les routines qui créent de la valeur et celles qui constituent des freins.
  • Conjuguer exigence de réussite et droit à l’échec. Offrir un environnement sécurisant mais stimulant pour s’impliquer, prendre le risque d’échouer, mais surtout d’innover.

 

 

Que mettre en place pour atteindre cet équilibre idéal ?

C’est en effet un idéal, mais cela peut servir de guide pour se poser les bonnes questions et repenser le fonctionnement selon son contexte. Nous recommandons que les dirigeants redéfinissent le périmètre d’action du middle management et mettent à disposition les ressources nécessaires, aussi bien matérielles et financières que symboliques en redonnant une légitimité à cette fonction. Il faut aussi sortir de l’idée que le leadership est une qualité innée. Il s’agit d’identifier les personnes qui veulent et peuvent exercer ce rôle et les accompagner dans leur montée en compétences, les former aux différentes dimensions et confier si possible les tâches administratives aux fonctions supports afin que le manager se concentre sur ses missions.

 

 

La clé serait donc la réhabilitation et non la suppression des managers intermédiaires ?

Oui. C’est tout le propos de notre chaire. Il faut sortir du paradigme qui laisse croire que moins de management est bénéfique. Avec notre culture d’entreprise, la problématique est de repenser ce poste fondamental. Ce n’est pas facile, mais nous conseillons aussi aux managers intermédiaires de verbaliser le fait qu’ils peuvent créer de la valeur différemment et de faire la démonstration par l’exemple qu’ils sont bien moteurs. Un bon manager, légitime dans sa position charnière, crée un environnement de travail heureux et productif. Quoi de mieux pour une entreprise ?